Tuesday 3 October 2017

Peaux de chagrin

Bleues, blanches, rouges, fleurs domestiques par excellence, ces belles anémones enjolivent vos balcons de leurs masculins pétales. Fleurs du vent ('anemos' en grec), on en trouve des violettes, des blondes aussi, mais si vous préférez les brunes, nul besoin de grimper à la Roméo, plongez plutôt. Et attention à la pêche, car bien que féminines aussi, celles de mer ne sont décoratives que de loin, moins domestiques, aux tentacules tout aussi masculins, mais plutôt urticants si on y regarde de près.
 
Point besoin pourtant de se mouiller pour en trouver de brunes indomptables,  il suffit de voyager très au sec dans le Gobi mongolien, y découvrir des cousins phonétiques, les ânes hémiones, aux femelles tout aussi brunes et indomptables que leur masculin. Ni pétale, ni tentacule, mais de grandes oreilles, l'hémione, aussi appelé onagre ou âne sauvage d'Asie, ne donne de l'urticaire qu'à ceux qui tentent de le dompter. Mi-âne (le préfixe hémi en grec, comme dans hémistiche), mi-cheval aussi, son nom mongol est explicite: 'kulan': vif, nerveux. Et ce n'est pas un hasard si le tambour du chamane s'appelle aussi 'kulan'.

Indomptables: ni le mâle ni la femelle ne se laissent chevaucher (comme ce ne sont pas forcément les mêmes cavaliers, il faut laisser laisser au pluriel). Indompté, sans cavalier, le kulan n'a pas attendu l'ère numérique pour le transport virtuel, la transe.  En effet, c'est par son chant que le chamane iakoute transforme son tambour en cheval puissant, moyen de transport efficace pour parcourir les étendues qui séparent le chamane des esprits mauvais. Avec hémione comme totem scout, l'avenir paraît peu domestique, et en plus on ferait vite de mauvaises rencontres.

Brunes: quant à la couleur, c'est d'une imprécision peu digne de l'hippologie. Isabelle, telle est l'hémione, la couleur de sa robe, selon les annales du musée d'histoire naturelle (1835, Paris). Pour les hipponologues comme moi, une robe Isabelle est une robe baie, diluée par un unique gène crème; rien à faire, ce besoin de crème sur la peau est génétique. Mais ne réduisons pas le discours sur l'hémione à sa peau. Quoique.. cest bel et bien de l'onagre que Balzac tira sa célèbre peau de chagrin, pacte avec le Diable, conflit entre désir et longétivité, cette peau qui se rétrécit à chaque souhait exaucé. Cisélée au bistouri, cette oeuvre est régulièrement tirée, le classique ne prend pas une ride.

Extrait de l'oeuvre en l'honneur d'Honoré: "un onagre, monsieur, tuerait à la course les meilleurs chevaux arabes ou persans".  Balzac, La peau de chagrin, 1831, p.232, citation piquée chez 'blogamots'. Tueur à la course (septante à l'heure), rapide comme une fleur à pétales (cf. anemos), le roi zoologique de l'Orient ne se laisse ni rattraper ni surprendre;  sa société s'organise en sentinelles qui scrutent pendant que le roi brait et que son harem broute.  Rapide, organisé, et dégourdi aussi: l'onagre fait son trou, pour accéder à l'eau souterraine du Gobi, trous réutilisés par le bonhomme assoiffé. Demi-chameau aussi, l'onagre se passe de boire pendant plusieurs jours - performance inatteignable par le mâle homme assoiffé. Morale: seul le bon homme sait tirer profit d'une ânerie.

Balzac page 232 suite: " Nos ânes dégénérés ne sauraient donner une idée de cet âne indépendant et fier. Il a le port leste, animé, l’air spirituel, fin, une physionomie gracieuse, des mouvements pleins de coquetterie! C’est le roi zoologique de l’Orient"  (annoncé en exclusivité ci-dessus). Un roi, le port leste, grâce et coquetterie, ça ne vous fait pas penser au cri de la jarretière "Henni soit qui mal y pense"? Ânerie: l'hémione brait.

Références: blogamots.wordpress.com, wikipedia.org, totems-scouts.be, emscat.revues.org/1606

No comments:

Post a Comment

Trois c'est trop

Si Ricard est la crème de la pastisserie amère, ce n'est pas grâce à feu Charles Pasqua, la "Mère Teresa du RPR" (dixit de son...